Mauvais souvenirs de la dent Blanche, ceux d’une insignifiante glissade sur un terrain plat qui se solde par une double fracture de la cheville droite avec hélitreuillage et dix-huit mois de soins avant de récupérer, heureusement totalement.
Il fallait conjurer cela et je me retrouve partie un samedi midi sur le chemin de la cabane de la Dent Blanche. Il faut une belle motivation pour y monter puisque 1800 (ou 2000 ?) mètre de dénivelée attendent le candidat alpiniste… J’ai chaussé les baskets et compte les garder aussi longtemps que possible. Bertrand nous entraîne par le chemin des écoliers ie le glacier au fond de la vallée, que nous remontons jusqu’à ce qu’il tourne vers la gauche et devienne plus raide. Nous rejoignons alors des pentes herbeuses et des éboulis et montons ensuivant une ligne relativement droite, avec quelques zigs-zags seulement. La technique est efficace en terme de gain de dénivelée. Nous rejoignons la trace ‘normale’, qui emprunte la neige puis des rochers brisés puis de nouveau la neige et arrivons au refuge après moins de quatre heures d’efforts, y compris quelques pauses pour admirer des chamois. Le tout en baskets : nickel.
Un Népalais aide à la cuisine. Le refuge est plein et comme il n’y a qu’un dortoir, c’est le gage de passer une mauvaise nuit… ce fut finalement moins pire que prévu avec l’absence surprenante de ronfleurs. Par contre, tout le monde étant candidat à la même course et voulant être devant sur l’arête, les premiers se réveillent une demi-heure avant l’heure de réveil prévue et commencent à s’activer. Cela sonne le réveil général et signifie l’encombrement garanti… Queue pour récupérer son petit déjeuner, pour avoir de l’eau… Tension palpable… A notre surprise, nous sommes les premiers à partir à la frontale vers 4h30 dans la voie. Derrière moi, je sens le souffle de la meute lancée à nos trousses…
Premier ressaut rocheux avalé, puis crampons et partie de neige avant de retrouver les rochers. En réalité, on ne quittera pas les crampons en ce début août qui connaît une quantité inhabituelle de neige sur les sommets – mauvaise météo récente oblige. Nous gardons le rythme de départ et les cordées s’échelonnent sur l’arête. Nous sommes dans le brouillard sur la première partie de l’arête et le vent souffle, il fait assez frisquet. Le rocher est sain, ça grimpe bien. Le vent et le brouillard perdurent jusqu’aux derniers mètres en neige menant à l’arête sommitale. Là, tout se découvre subitement et laissent apparaître le Cervin qui sort d’une mer de nuages, comme le Grand Combin et le Mont Blanc à l’horizon. Devant nous, une arête en neige aérienne mène à une croix : quel sommet superbe ! Quel cadre pour grimper, c’est assez exceptionnel !
Nous savourons d’avoir le sommet pour nous tous seuls, avant de voir arriver un quart d’heure après le premier guide suisse, puis d’autres.
On mettra quasiment aussi longtemps pour descendre (3h) que pour monter (4h), puisque nous avons fait un reportage photo : l’arête et le Cervin, l’arête et la Dent d’Hérens, le Cervin et le Mont Rose, tout en même temps sur la même photo… euh non, ça c’est pas possible, je n’ai pas un angle assez grand sur l’appareil… Je m’en mets plein les mirettes avec ce paysage exceptionnel que, Français, on a peu l’habitude de voir. Et me promets de revenir un jour grimper la dent d’Hérens.
Descente assez rapide au parking grâce aux nombreux névés et ensuite aux baskets. Sans dommages, cette fois. Le sort est conjuré. Fingers crossed !