Depuis plus de 15 ans, l’Alaska et son sommet emblématique, le MacKinley (6194m), royaumes de la neige et de la glace, ont sur moi un attrait certain. J’avais jusqu’à présent repoussé l’échéance, craignant la réputation de froid mordant et de vent incessant. En ce printemps 2011, je me suis enfin décidée. Mais à la veille du départ, la rudesse des conditions météorologiques ainsi qu’un nombre inhabituel d’accidents fatals exercent une grande pression psychologique. Ajoutez les efforts physiques intenses qui ont marqué notre approche de la montagne, ainsi que l’incertitude sur la météorologie à l’heure de la tentative du sommet. La joie de la réussite, par une voie inhabituelle, est énorme!
Contexte
En mai 2011, les conditions sur le MacKinley sont anormalement rudes: entre -15 et -20° la nuit à 2100m (camp de base), soit théoriquement -32 à -37° au dernier camp (5300m), hors effet ressenti du vent, annoncé entre 32 et 64km/h. Par ailleurs, des accidents ont été recensés avec une fréquence inhabituelle, occasionnant le décès de huit personnes et de nombreuses blessures graves. A fin mai, 124 alpinistes ont fini leur ascension et seuls 34 ont réussi le sommet. Combien sont revenus sans gelures, même bégnignes?
Acte 1: la galère dans le mauvais temps
Jamais je n’ai fourni d’efforts physiques aussi intenses et sur une durée aussi prolongée (10 jours) pour approcher une montagne ie rejoindre le camp 3 à 14.200 pieds (4328m). Avec le souvenir de cette bulle de la bande dessinée d' »Asterix légionnaire », où Asterix et Obélix rament dans une galère : « engagez-vous, qu’ils disaient… ». Il a fallu transporter l’équivalent de mon poids sur près de 20 kilomètres et 2200 mètres de dénivelée, réparti entre un sac à dos et un traîneau. Nous avons effectué des « portages », pour diviser le poids sur deux montées, ce qui équivaut à effectuer deux fois l’approche de la montagne… Le traîneau, certes très pratique, a la désagréable particularité de donner des secousses permanentes dans le dos quand le terrain est plat, et de sembler peser affreusement lourd en montée (quel poids mort, quelle force de frottement sur la neige!). Hanches, épaules, dos et chevilles ont été extrêmement sollicités, parfois en torsion, et se sont révélés par moments très douloureux.
On quitte le camp de base (marqué par un drapeau américain): les ennuis avec le traîneau commencent…
Je tire, tu tires, nous tirons
Par ailleurs, cette période d’approche de la montagne fut marquée par un mauvais temps très présent: un vent parfois violent (jusqu’à 90km/h), de la neige une bonne partie de la journée et de la nuit. Pourquoi la nuit? Il faut effectivement mentionner que, par raison de sécurité (stabilité des ponts de neige sur les crevasses) et du fait de la lumière du jour qui éclaire les 24 heures d’une journée en Alaska en cette saison, on traverse les gaciers de nuit. Terriblement difficile pour régler un rythme biologique.
Accrochez-vous au piolet ou au voisin!
Mauvais temps entre camp 2 et camp 3 (vidéo)
Journée ventée au camp 2 (vidéo)
On ajoutera qu’il faut, certains jours, démonter le camp, monter les affaires puis remonter le camp une fois la journée terminée: le chargement et déchargement des traîneaux et sacs à dos, le pelletage pour établir des plate-formes où installer les tentes puis construire les murs de neige qui font office de brise-vent… Ouh là là…
Pour finir, un stress certain lié au fonctionnement des guides américains: une pause systématique toutes les heures quel que soit l’endroit et quel que soit le temps, un rythme excessivement lent. Je pensais pourtant que les étapes étaient assez longues pour (i) ne pas souhaiter augmenter l’exposition au froid, au vent et à la neige et (ii) pour essayer de finir le plus vite avant de bénéficier du maximum de temps de récupération. Et pour moi, en montagne, rapidité et efficacité ont toujours rimé avec sécurité. Alors?…
Acte 2: la récompense dans des conditions météo très clémentes
Arrivés au camp 3, nous alternons un jour de repos avec une journée d’acclimatation sur la voie normale du MacKinley, le West Buttress. L’acclimatation permet de monter jusqu’à 5100m environ, en empruntant notamment des cordes fixes où le trafic est digne d’un départ en vacances d’été sur l’autoroute du sud… Si les prévisions météorologiques des rangers annoncent deux tempêtes successives et mettent la pression sur notre moral, nous bénéficions en réalité de journées relativement ensoleillées et, fait très rare, sans vent. Nous rencontrons des cordées qui ont parcouru l’Upper West Rib ces jours derniers: les conditions y sont excellentes, ce qui conforte notre volonté de tenter cette voie plus technique et totalement à l’écart de la foule (1% des grimpeurs choisissent cette voie d’ascension).
Panorama lors de l’acclimatation sur le West Buttress (vidéo)
Sur les cordes fixes sur le West Buttress
Un Népalais, volontaire chez les Rangers pour un mois, au-dessus des cordes fixes
La voie de l’Upper West Rib emprunte la ligne rouge jusqu’au 14k camp, prend les pointillés à droite pour rejoindre la voie en jaune, va au sommet (quand même!) et redescend par la rouge. Notez que le runway du camp de base, qu’il faut tasser à raquettes après une chute de neige (!), est appelé « Kahiltna International Airport »! Je n’ai pas essayé de faire enregistrer les bagages deuis Roissy jusqu’à « KIA »…
Faisant fi des prévisions des rangers, vient enfin le lancement de la tentative vers le sommet. Montée très chargés au « Balcony Camp », à 5200m. On enfonce jusqu’au genou dans de la neige poudreuse dans laquelle des skieurs professionels ont dessiné des virages, puis on gagne l’arête de neige qui marque la jonction avec la West Rib, pour poursuivre sur des couloirs de neige (50°) et des passages rocheux qui nécessitent de bien s’assurer.
En dehors du gros sac, on se croirait en hors piste à La Grave
On est dans la Cassin, là, ou bien?
Un léger mal de tête ayant fait son apparition le soir de l’arrivée au Balcony Camp, nous décidons d’y rester un jour pour parfaire l’acclimatation à l’altitude et se donner le maximum de chances de réussir le sommet. Difficile de rester un jour inactif, à constater un magnifique ciel bleu en se demandant ce que les nuages de bas de vallée vont faire le lendemain. J’ai bien récupéré des efforts de l’approche et suis en pleine forme.
Lumière du couchant sur la tente, sur fond de MacKinley
Lumière du couchant sur le Mont Hunter
Lumière du couchant sur le camp 3 et le West Buttress
Il ne fait pas chaud: -20° au réveil dans une tente de deux personnes… Il faut pourtant se lever, le temps est nuageux mais correct, il n’y a pas de vent. Des rochers brisés jusqu’à ce que la West Rib vienne mourir dans d’immenses pentes de neige raides (50°). On progresse ensemble pour gagner du temps, ce qui implique de se faire totalement confiance: le moindre faux pas pourrait avoir des conséquences fatales pour les deux membres de la cordée. Nous sortons finalement de ces pentes et rejoignons par du terrain mixte la fin de la voie du West Buttress. Restent 300m de dénivelée dont une grande pente de neige où règne un immense désordre avec des grimpeurs un peu partout, pliés en deux par l’effort, certains évoluant en solo. Vigilance, vigilance… Vient enfin l’arête sommitale, de toute beauté, cornichée, éclairée par les rayons du soleil; pourtant, nous ne voyons rien d’autre puisque l’horizon est bouché à 360°. Il n’y a pas de vent, la température est relativement clémente (-10°?), quelle chance! Il faut faire la queue sur ces derniers mètres d’arête qui permettent à peine de se croiser. Après 8 heures d’efforts, la récompense: le sommet du MacKinley, point culminant du continent nord-américain. Sommet!
Monts Hunter (à gauche) et Foraker (à droite), depuis l’Upper West Rib
Acte 3: re-galère, un soupçon d’effroi en plus
Il a bien fallu redescendre les 2200 mètres de dénivelée entre le camp 3 et le camp de base, avec l’impression qu’on ne s’est pas tant allégés. Les poubelles, les restes de nourriture, le matériel de cuisine et le matériel technique pèsent encore lourd. On reprend les traîneaux pour un « push » / « single carry » de nuit jusqu’au camp de base. Dix heures dont deux pauses d’une demi-heure aux deux camps inférieurs pour charger de nouveaux sacs (poubelles, nourriture). Entre 20h le soir et 6h du matin alors qu’il neige dru sur tout le trajet et que la visibilité ne dépasse pas 50 mètres. Avec une partie basse du glacier en conditions estivales:
- des crevasses abyssales ouvertes, qui donnent des sueurs froides dans le dos quand on franchit un pont de neige dont on ne connaît pas l’épaisseur;
- d’autres crevasses sournoisement cachées sous un fin pont de neige qui cède soudainement, tentant d’avaler deux d’entre nous avec les traîneaux qui tirent vers le fond du trou;
- des baignoires de neige gorgées d’eau sous lesquelles on ne sait pas trop ce qu’il y a; ou plutôt on sait, en tâtant avec le bâton sans rien trouver de solide autour du passage emprunté…
L’itinéraire très mal balisé nous vaudra pas mal d’errances malgré le flair du guide de tête de notre caravane de quatre cordées et l’aide de coordonnées GPS de la trace de notre passage il y a deux semaines.
Dans la joie et la bonne humeur.
Une conclusion?
L’expédition se finit « à l’américaine » : tout va bien qui finit bien. Avec quel enchaînement d’efforts et d’émotions. Moyennant une très forte dose d’abnégation. Deux jours de véritable alpinisme pour onze jours de portage de charges abominables, des conditions météo qui auraient pu être bien plus terribles : le MacKinley est-il une montagne ou un cauchemar que l’on vit éveillé ? Un peu des deux sans doute ; le débat est ouvert !
Home sweet home (coucher de soleil sur le high camp, West Buttress, 5250m).
D’autres photos sur l’album « MacKinley »!
merci Guilhem! je rentre à Paris le 5 juillet mais pour quelques jours seulement, le temps d’obtenir un visa pour l’Inde. Es-tu à Paris la première quinzaine de juillet, ou en vacances?
Bravo Marion !! Impressionnant! Et merci de nous faire vivre un peu de ces emotions par procuration. Quand rentres-tu a Paris ? A bientot, bises
bravo à toute l’équipe et merci pour le message
bonne chance pour le Pisco (la montagne, pas la célèbre boisson)
merci!
je rentre le 5
Bravo
je suis ravie pour toi
toutes mes felicitations d Huaraz au Perou.
Nous avons tous gravi le Diablo Mudo
et nous partons demain pour la Cordilliere Blanche et tenter le Pisco dan sdes conditions plus confortables
Encore Bravo
super
A bientot A Paris
Christiane
Bonsoir Marion
Bravo, vraiment bravo. Tu peux être fière de toi, parce qu’il fallait le faire.
Nous rentrons en France le 04/07 et nous essayons de te joindre.
Amitiés fort admiratives de nous deux,
Giuliana et Jean-Paul
Bravo Marion et frison, quel courage et quelle persévérance merci de nous faire partager ces beaux moments.Les photos sont superbes encore merci et à bientôt, je t’embrasse Pierre
Je suis scotchée a ma chaise en lisant ton récit et en regardant les photos. Le sosie de Frison dont le seul exploit est de grimper au 31eme de la Tour SG est franchelent jaloux…De quoi
relativiser la galère du rer…
C’est absolument splendide! Merci Marion de partager cette aventure et tes émotions avec nous!
merci! je me réjouuis de grimper sur de belles arêtes avec un sac de 30 litres, une météo capable de dire s’il va faire beau ou non et un guide efficace qui ne réfléchit pas une heure pour savoir
où poser ses relais!
Belle croix. Bravo pour la persévérance.
A bientôt pour de belles courses en attendant l’expé de cet automne.
merci!
je serai à Pelvoux cet été et à Paris début juillet etfin août début septembre
Eh bien bravo !!!
Et un petit Mc Kinley in the pocket, next one ?
Bravo Marion, quelle joie après tant d’épreuves.
tes photos sont magnifiques. Est-ce qu’on pourra te revoir dans nos plaines ?
je t’embrasse
Yves-Marie