Le 23 janvier 2012, la Britannique Felicity Aston devenait la première femme à traverser le continent en solitaire, de la plate-forme de Ross à la plate-forme de Ronne, à l’issue d’un voyage qui lui prit 59 jours. Evoluant à skis, elle a utilisé deux dépôts de nourriture.
Quelques jours plus tard, le 26 janvier, les deux Australiens Cas et Jonesy terminent leur aller retour entre la plate-forme de Ronne et le Pôle. A skis, sans aucun dépôt de nourriture. Ils partirent fin octobre avec un traîneau de 190kg chacun à tirer… Ils ont parcouru 2270km en 89 jours.
59 jours, 89 jours… On court pour réaliser l’expédition en un seul été (novembre à fin janvier). Ca parait long mais songeons qu’Amundsen et Scott, les premiers hommes à atteindre le pôle Sud dans l’hiver 1911/1912, passèrent trois ans loin de chez eux!!! Et après des mois de collecte de matériel et de levée de fonds, de navigation, de dépôts de vivres dans le mauvais temps et d’hivernage dans le glacial hiver austral, Scott arriva le 17 janvier au Pôle pour y trouver une lettre d’Amundsen qui l’avait précédé de trente-quatre jours. « The pole. Yes, but under very different circumstances than expected… Great God. This is an awful place… and terrible enough for us to have laboured for it whitout the reward of priority. »
100 ans après, les mots de Scott peuvent être lus par les visiteurs au Pôle Sud
Amundsen et ses hommes au Pôle Sud en décembre 1911 (image d’archive)
Et encore… Scott ne savait pas que lui et ses quatre compagnons allaient mourir sur le chemin du retour, à 18 kilomètres d’un dépôt de vivres. Un dépôt qui aurait du être plus au sud (82°) mais que le mauvais temps de l’été précédent avait contraint de laisser au 79°. Le mauvais temps, la malchance…? Pas seulement. Plusieurs éléments permirent le succès d’Amundsen et scellèrent le destin de Scott.
Le point de départ
Scott choisit de suivre les traces de ses prédécesseurs, dont Shackelton, pendant qu’Amundsen établit son camp d’hivernage à la Baie des Baleines, soit un degré plus au sud (120km de moins).
La cabane d’hivernage de Scott à Cape Evans, maintenue en état par le Antarctica Heritage Trust. L’hélicoptère n’est pas d’époque…
Le mode de progression
Scott avait emmené des véhicules et des poneys. Les premiers sont tombés en panne rapidement. Les seconds alourdissaient les charges (sur la glace, difficile de trouver l’herbe qui constitue leur seule nourriture) et ont succombé à la fatigue rapidement. Restait alors une seule solution: les hommes ont tiré les traîneaux, à pied. Ils n’avaient pas de skis. Ils n’avaient pas de raquettes pour moins enfoncer dans la neige. Quelle dépense physique!
Amundsen est arrivé en Antarctique avec 59 chiens huskies groënlandais. Les hommes étaient à skis et évoluaient attachés derrière les traîneaux tirés par les chiens. Au fur et à mesure que le pôle approchait, des chiens furent sacrifiés et donnés en pâture aux chiens et aux hommes: Amundsen revint à son point de départ avec 11 chiens. Ce mode de progression se révèla le plus efficace et économe en énergie pour Amundsen et ses hommes.
L’équipement
En digne Norvégien et fort de son observation de la vie des Inuits lors d’expériences en Arctique et au passage du Nord-Ouest, Amundsen fit confectionner pour ses hommes de nombreuses tenues adaptées aux différents niveaux de froid qu’ils devaient rencontrer, dont certaines en peaux de renne.
La nourriture
Le fait de partir de plus loin, de progresser moins vite et de dépenser plus physiquement (tirage des traîneaux) firent que la quantité de nourriture de Scott se révèla insuffisante. De plus, il partit pour le Pôle avec tous ses hommes alors qu’il n’avait prévu de la nourriture que pour 4; certains retournèrent en route mais 5 hommes rallièrent le Pôle.
La valeur calorique des rations de Scott se révéla elle aussi insuffisante. Un de ses hommes mourut probablement de scorbut et la sous-alimentation chronique fut sans doute à l’origine de la faiblesse de tous les hommes lors du voyage de retour.
Les boîtes de cacao et de biscuits de l’expédition Terra Nova de Scott. Elles ont plus de 100 ans!
Le voyage d’Amundsen dura 99 jours, soit un de moins que ses prévisions (!). Il avait prévu de la nourriture et effectué ses dépôts de vivres pour 5 hommes – ils furent 5 à rallier le Pôle. Enfin, s’il avait calculé au gramme près les rations de ses hommes, Amundsen avait aussi anticipé les besoins qualitatifs (protéines, vitamines…), autant que la science de la nutrition de cette époque le lui permettait. Amundsen et ses hommes rentrèrent en si bonne santé que leurs camarades restés à la cabane d’hivernage ne voulurent pas croire, dans un premier temps, qu’ils avaient effectivement atteint le Pôle!
L’état d’esprit?
Pour Amundsen, toute prise de risque était un échec dans la planification et la préparation de l’expédition. Il s’adaptait à la nature du mieux qu’il pouvait. Scott, qui portait souvent l’uniforme militaire, semblait davantage vouloir dominer la nature. Dans sa dernière lettre, il écrivit qu’il était fier de montrer qu’un Anglais savait encore mourir pour une noble cause. Scott fut célébré comme un héros en Angleterre alors que la victoire d’Amundsen n’eut pas le retentissement attendu en Norvège.
Amundsen et Scott n’avaient pas les moyens dont disposent les explorateurs polaires d’aujourd’hui: GPS, téléphone satellite, hélicoptère disponible en cas de nécessaire évacuation, veste Gore-Tex et doudoune, encouragements quotidiens des proches via un blog ou Twitter… En 100 ans, les moyens technologiques, le matériel et l’engagement ont bien changé mais la motivation reste!
100 ans après, une toute autre photo au Pôle Sud…!
Merci pour ce rappel historique, triste, mais instructif. L’opposition des méthodes d’Amundsen et de Scott s’est retrouvée de façon analogue dans l’alpinisme et surtout l’himalayisme.