Cherchez sur Google où l’on peut voir le plus grand nombre d’ours polaires et l’île de Wrangel sortira tout en haut de la liste. Avec le Spitzberg et l’île François Joseph, c’est l’une des zones principales où les ourses polaires viennent creuser une tanière pour donner naissance à leurs jeunes. Les scientifiques ont répertorié près de 200 à 300 tanières disponibles et estiment qu’environ 60 sont actuellement utilisées chaque hiver. La dernière étude disponible recense entre 200 et 400 ours polaires présents sur l’île selon les années – quelques unes des femelles venues mettre bas mais aussi et surtout des ours venus d’Alaska et de la mer voisine russe de Chukchi. La banquise est encore présente mi-août et revient dès mi ou fin septembre, ne laissant qu’une courte période de disette pour les ours, ces chasseurs des phoques dont la banquise est le terrain de prédilection.
Wrangel island avait également fait le buzz sur Internet à l’été 2017, avec plus de 200 ours recensés sur la carcasse d’une baleine échouée sur les côtes de l’ïle. Nous venions de réserver notre voyage et nous nous réjouissions à l’avance…
L’accès à Wrangel est difficile : il n’y a aucun habitant en dehors de quelques rangers russes qui travaillent pour cette réserve naturelle classée au patrimoine de l’Unesco, et pas d’infrastructure. A 140km des côtes russes, cette île de 7600 km² (120 km de large) est accessible en navire à coque renforcée pour franchir des zones de banquise clairsemée. Une compagnie néo-zélandaise y a l’exclusivité du débarquement et organise des voyages à destination de Wrangel ainsi que le parcours du célèbre passage du Nord-Est, pour environ 300 passages par an au total.
Il faut pour cela rallier le port d’Anadyr, capitale de la province russe du Chukotka. Depuis l’Europe, le voyage via Moscou puis 8h de vol sur Utair est relativement aisé et peut donner l’occasion de passer du temps dans la capitale russe. Nous avons particulièrement apprécié la visite du Kremlin.
Depuis Anadyr, cap au nord pour longer les côtes russes. Des quelques jours que nous y avons passés, nous retiendrons essentiellement le détroit de Senyavina, ainsi que Saint Laurent’s Bay.
Les paysages y sont très beaux et la faune intéressante, notamment les baleines qui ne sont pas chassées dans cette partie du monde, sauf par les arborigènes (quota de 130 baleines par an). Elles nous ont fait un festival de ‘breaching’, 15 ou 20 à la suite, sans se lasser ! Baleines à bosse, baleines grises, petits rorquals… sans compter des orques et des belugas ! Incroyable et mémorable.
Le folklore local est par contre sans grand intérêt, mix de traditions ethniques et de restes décrépis de la période soviétique. Les rencontres avec les communautés Inuits en terre de Baffin étaient plus riches.
Enfin, nous rallions Wrangel à Doutbful Bay, qui nous réserve un accueil bien triste avec un plafond bas, des décharges à ciel ouvert de matériel militaire rouillé – une base est toujours opérée par l’armée russe à quelques kilomètres mais une piste d’atterrissage et beaucoup d’autres vestiges sont ici abandonnés. Même les bœufs musqués se sont regroupés au pied des montagnes, à des kilomètres de notre point de débarquement. Un vague renard arctique ne daignera pas se rapprocher non plus. Les bottes font floc floc dans la toundra gorgée d’eau. Bouh…..
Heureusement, le soir même, le bateau jette l’ancre au cap Blossom, où nous attendent nos premiers ours ! Une dizaine d’un coup ! Mais dans la nuit tombante, loin sur la montagne sauf deux ou trois sur la berge qui s’enfuient rapidement par la mer. Seul un ours ne s’éloigne pas et marche le long de la berge, avant lui aussi de s’éloigner vers la montagne.
Au réveil le matin suivant, au cap Fomy : le capitaine compte 49 ours ! Bon, il a sûrement des ancêtres marseillais parce que nous n’en voyons pas autant, mais il faut chercher tous les points blancs dans la montagne. Ce sont les principaux enseignements sur les ours de Wrangel : l’île est probablement le seul endroit au monde où il y a plus d’ours polaires que de cailloux blancs, ce qui facilite leur repérage ; mais ils sont très craintifs et s’éloignent très rapidement ; et ils sont alpinistes et parcourent la montagne, ce qui les rend d’autant moins observables depuis la côte…
Nous arpentons les côtes de l’île les jours suivants et trouvons beaucoup moins d’ours qu’au cap Fomy, quasi systématiquement sur les flancs des montagnes et dans des endroits totalement improbables, toujours très craintifs. Une promenade en zodiac nous a offert la seule vraie rencontre du voyage, pour quelques dizaines de minutes : un ours est descendu sur la plage, s’y est promené et s’est roulé dans la neige d’un névé, pour notre plus grand plaisir. Enfin… merci à cette gentille ourse polaire!
L’île nous a aussi offert de belles falaises où nichent des colonies d’oiseaux migrateurs (guillemots, mouettes tridactyles, macareux), un couple de chouettes arctiques, deux renards arctiques…
Une colonie de morses sur l’île de Herald, aux côtes hérissées de falaises aux oiseaux. D’autres morses vers Pillar Rock, avec quelques photos de ces animaux très agiles dans l’eau.
En résumé, pas mal de déception finalement sur cette destination, probablement du fait des attentes très élevées que nous avions :
- des vues exceptionnelles de baleines, mais nous comprenons que c’est très rare d’en voir autant et aussi actives,
- une colonie de macareux à ne pas manquer sur les côtes russes (à côté d’une station météo abandonnée) – que nous avons manquée parce que omise par le staff de Heritage dans la description de la sortie (!)
- des ours polaires en grand nombre mais toujours très éloignés : mieux vaut regarder avec des jumelles que compter sur un téléobjectif même puissant. Cela ne permet pas d’observer les détails et les comportements intéressants. Peut-être faut-il venir plus tôt en saison, quand la banquise est encore là? Avec davantage de chances d’y voir des ours de moins loin, mais plus de difficulté à naviguer et plus de lieux inaccessibles… Difficile de savoir et le pari coûte cher.
Le prix du voyage est en effet sensiblement supérieur à celui demandé pour les autres destinations réputées pour les rencontres d’ours polaires dans leur environnement naturel, ce qui ne nous paraît pas justifié. Le Spitzberg en Norvège, la terre de Baffin et le Parc de Wapusk au Canada offrent des rencontres globalement plus rares (quoique…) mais de plus grande qualité.
Plus d’images: Album Wrangel