Tirant parti de l’unique créneau météo, nous avons effectué une tentative sur une semaine pour une immersion en montagne et en altitude, poussant progressivement le camp vers le haut jusqu’à 5760m avant de partir pour le sommet en aller-retour depuis le camp 3 le 23 avril. Dans une belle ambiance de lignes de glace raides et fuyantes, nous avons sorti les difficultés de l’arête SW, sommes parvenus à 6300m sur le plateau sommital mais avons du renoncer au sommet du fait du mauvais temps (brouillard et neige).
L’arête SW se détache à droite dans le ciel
Après une blessure à la cheville qui a entraîné l’annulation du raid nordique au Groenland, et après trois semaines de soins intensifs, je remonte dans l’avion pour Katmandou avec un plaisir non dissimulé. La montagne convoitée est magnifique, la voie d’ascension technique et esthétique, et l’expédition est constituée d’un groupe d’amis forts grimpeurs. Deux guides de haute montagne, Simon et Jean, alliant une grande technicité à une expérience himalayenne éprouvée. Trois « clients » au joli palmarès en altitude (Everest et nombreux 7000m) ainsi que dans les Alpes (Pilier Central du Frêney, Intégrale de Peuterey, face S du Fou…). La fiche technique ne disait pas qu’il fallait aussi savoir jouer à la belote coinchée… A ce détail près, nous avons mis toutes les chances de notre côté. Restent à réussir l’acclimatation puis voir les conditions sur la montagne ainsi que la météo.
Dépaysement toujours garanti à Katmandou, qui a grossi depuis mon dernier passage en 2004 et devient de plus en plus bruyante. Nous nous échappons sans tarder par un vol sur Lukla, point de départ de notre expédition et point d’entrée de la vallée du Khumbu au bout de laquelle se trouve l’Everest. La marche d’approche vers le Cholatse, qui sert aussi de trek d’acclimatation, suit cette vallée jusqu’à Namche Bazar (3600m), capitale du pays sherpa, avant de mettre le clignotant à gauche (W) et sortir du trafic intense de trekkeurs, digne d’un départ de vacances d’été sur l’autoroute du sud, pour prendre une vallée parallèle qui mène à Gokyo, au pied du Cho Oyu (8154m). La météo s’améliore progressivement, nous offrant de belles éclaircies matinales avant les traditionnelles précipitations de mi-journée.
Les champs ne sont pas encore cultivés, les hommes étant au portage pour les expéditions
Quelques points communs avec la Corse?
Machermo, ou le retour du beau temps
En route pour Gokyo, sur fond de Cho Oyu
L’ascension du Gokyo Ri (5360m) parfait notre acclimatation pendant que Jean part en éclaireur installer le camp de base, vers 4700m, dans un alpage au pied de la moraine du glacier qui descend du Cholatse. Nous n’avons qu’un cuisinier et ses deux aides : pas de sherpa ou porteur d’altitude pour nous aider sur la montagne. Un choix de technique d’ascension, en style alpin ie léger (la technique, pas les sacs), sans cordes fixes. Cela nous rend très mobiles et réactifs.
Vue sur le Cholatse (le fier sommet de gauche!) depuis le sommet du Gokyo Ri
Joli, joli, le reflet de la montagne dans le lac de Gokyo
Camp de base du Cholatse, vers 4700m. Y’a pas foule…
Après un portage au pied du glacier nous partons pour un premier run d’acclimatation sur la montagne de trois à quatre jours. Le glacier est franchi sans difficultés et le camp 1 est installé, devant un sérac et à côté d’une crevasse, vers 5360m.
Somnambules, s’abstenir (crevasse immédiatement à gauche)
Le lendemain, Simon et Jean vont repérer puis équiper une grande pente en neige pendant que Gilles, Pierrick et moi allons chercher en aller-retour le matériel qui reste à monter. Le camp est déplacé dans un col au pied des difficultés rocheuses, vers 5600m.
Jolie pente de neige et glace de 150m qui finit à 60° d’inclinaison
Home sweet home! (crédit: J. Annequin)
Lumière du soir sur le Tawoche, paroi du futur?
Repos pour Pierrick et moi le 21 avril au camp 2 pendant que Jean, Simon et Gilles vont reconnaître et équiper le rocher. Simon bataille 20 minutes dans la longueur clé, un passage de 5 / 5+ partiellement sous la neige.
La voie emprunte l’arête de neige puis une rampe à droite pour passer ensuite derrière la tour de rocher
Simon à l’oeuvre… Délicat… on ne bouge plus et on ne respire plus… (crédit: J. Annequin)
La suite passe derrière le fil de l’arête et se révèle moins compliquée, nous donnant accès à des rampes qui mènent à une longue arête de neige ou plutôt de glace, au vu de ses reflets sous le soleil. Le routeur météo, basé à Chamonix, nous annonce un créneau de temps acceptable sans trop de vent pour les trois prochains jours, une dégradation marquée devant intervenir les jours suivants. La décision est prise de poursuivre notre route vers le haut, conscients qu’il s’agit sans doute de la seule occasion qui nous sera offerte. Jean et Simon font un aller-retour à une altitude inférieure où nous avons stocké de la nourriture dans une crevasse, à l’abri de corbeaux agressifs.
Le 22 avril, nous franchissons tous les difficultés rocheuses et déplaçons le camp sur le début de l’arête neigeuse, un vrai nid d’aigles à 5760m. L’arête est étroite et il faut creuser des plates-formes au piolet pour pouvoir y monter nos deux tentes. L’ambiance est magique, les vues sur la face ouest du Tawoche, le sommet voisin du Cholatse, incroyables.
Gilles utilise la fissure pour passer cette dalle bien lisse (crédit: J. Annequin)
23 avril. Réveil à 4h du matin, départ à 5h15. Des rampes de neige sont avalées alors que le soleil se lève et éclaire le cirque du Cho Oyu. Nous devons malheureusement attendre plusieurs longueurs avant qu’il ne nous touche et ne nous réchauffe… Jean ouvre la voie, encordé avec Pierrick. Simon mène la seconde cordée formée de Gilles et moi-même. On fonctionne comme dans les Alpes, chaque cordée assurant sa progression. Par contre, l’effort est sensiblement plus important puisque nous sommes à plus de 6000m ! De plus, la glace est inégale et rarement de bonne qualité, contraignant les leaders à bien assurer leurs ancrages. Les pentes sont raides avec des passages jusqu’à 80°. Les lignes fuient vers le camp 3, bien visible avec ses deux tentes orange mais qui paraît de plus en plus petit. Nous progressons également par traversées.
Ca grimpe pour de bon! A plus de 6000m, sacré sport…
Une dizaine de longueurs de corde sur l’arête nous mènent à un sérac (70°) qui marque la fin des difficultés.
Ça se gâte…. (crédit: J. Annequin)
Pendant ce temps, les nuages sont montés des vallées, envahissent les montagnes et nous ôtent bientôt toute visibilité. La neige s’invite à la fête… Nous avançons sur le plateau terminal pendant environ une demi-heure. La neige s’intensifie. Devant nous, un faux-plat descendant suivi d’une zone de crevasses et de pentes de neige qui mènent au sommet. Il est 12h et nous sommes à 6300m. Il reste environ 2/3h pour arriver au sommet, mais le mauvais temps ne nous encourage pas à poursuivre. De plus, la descente promet d’être longue (itinéraire similaire à la montée ie technique) et compliquée par l’absence de visibilité. Dans ce contexte, il est préférable que nous soyons rentrés au camp avant la tombée de la nuit. Il faut donc renoncer au sommet pour effectuer la descente en sécurité.
Là, ça paraît compromis… Bonjour, vous êtes qui, vous? On se connaît? (crédit: J. Annequin)
Nous faisons demi-tour pour enchaîner les rappels posés sur abalakovs (cordelettes ancrées dans la glace) et nous réjouissons de l’absence de vent, qui aurait rendu les attentes au relais particulièrement pénibles voire dommageables. La fatigue se fait réellement sentir, les manœuvres de corde avec les gros gants sont malaisées. Nous sommes finalement de retour au camp 3 vers 17h30, couchés vers 19h30, bien cramés. Mais quelle belle journée !
Surtout, ne pas perdre de vue la Gore-Tex verte de Jean (crédit: J. Annequin)
Le Cholatse version « café du commerce » ou « dernier salon où l’on cause » (crédit: J. Annequin)
Il neige jusqu’au lever du jour. Le petit matin blafard annonce d’autres précipitations. Nous plions rapidement le camp et entamons le retour vers le camp de base, de plus en plus lourdement chargés au fur et à mesure que l’on enlève toutes les cordes qui ont pu être posées sur la montagne. La neige a modifié les paysages et nous redécouvrons certains passages, rendus plus difficiles parce que bien glissants… Il neige à nouveau…
On remet la maison sur le dos, au départ du camp 3
Pierrick entame les rappels dans la tour rocheuse
Belle ambiance! (crédit: J. Annequin)
Trop, trop classe (crédit: J. Annequin)
Pour la postérité (crédit: J. Annequin)
Retour au camp de base, gros gâteau du cuisinier. Il continue à neiger pendant qu’on attend les yacks pour descendre dans la vallée. Des pluies de mousson s’abattent sur Lukla que nous venons de rejoindre, créant un peu de stress sur les places de vols pour Katmandou avant qu’un créneau ne se dessine, exploité par les avions et hélicoptères pour faire partir un maximum de passagers…
Frison n’a pas donné sa part du gros gâteau au goût de pain d’épices préparé par le cuisinier népalais
L’heure du retour. Yak, yak, yak…
Le bilan ? Un voyage exceptionnel!
- Un très beau trek d’approche vers le site unique de Gokyo et ses lacs.
- Une magnifique ascension de voie technique, qui implique parfois (souvent ?) de renoncer au sommet : le principal objectif est de réussir la voie, le sommet étant la cerise sur le gâteau.
- 172 parties de belote (qui a vraiment compté ?) dont la plus haute à 5760m et de grands moments de plaisir entre amis : merci à Jean, Simon, Gilles et Pierrick !
D’autres photos disponibles sur les albums « Cholatse arête SW » pour l’ascension et « Trek Gokyo Népal » pour la marche d’approche.
Merci Jean-François pour ce compliment et ce témoignage. Je souhaite à ton fils tout le bonheur possible sur ces belles montagnes du monde
Merci Marion pour ces photos magnifiques et pour la qualité de ton site.
Et surtout, bravo pour le partenariat avec Chacun Son Everest:
Mon fils Michka, 29 ans, était sur l’arête du Cholatse le 17 mai 2011.
Il avait quitté l’hôpital le 11 avril 2006 après traitement d’un Lymphôme très grave! Il est encore au Népal, puis part en Alaska en juillet.
Quel espoir pour tous les malades! Ils vont guérir et la vie en vaut la peine.
De tout coeur avec les enfants malades et leurs proches !
OK on ne va pas te plaindre non plus, mais c’est impressionnant quand-même pour le non-sportif total que je suis.
🙂
Merci
on ne peut quand même pas considérer que c’est le bagne…! Ces paysages et ces émotions valent toute la peine que l’on se donne! Et je me régale à prendre les photos, qui restent le meilleur
moyen de raconter et partager
Tout est beau, et donne envie bien sûr, mais cela ferait presque oublier la force mentale que tu dois avoir chaque matin, et ça ce n’est pas tout le monde qui peut le faire. Super Marion,
remarquable.
Ah ne soye pas si pressé… savourons déjà le Cholatse, pis attendons le Huntington qui devrait aussi valoir son pesant de cacahouètes, ainsi que quelques autres j’espère. Après tout, sauf à
prendre une voie très technique, le Denali n’est qu’un gros tas… non?
bravo , belle ambiance , j’ai hate de voir le DENALI : haut les coeurs !
Bienvenue de retour en France.
Ouah ! Les photos…
Ca a l’air superbe. Ca fait presque envie (« presque » parce qu’il faut être plus sportif que moi). Vous vous êtes pas mal débrouillés et les photos sont superbes.
Super Marion; sommet magnifique et ambiance grandiose; tout y est pour nous faire rêver; gros engagement physique et technique, c’est du très costaux
chapeau bas à l’artiste et à toute l’équipe. Amitiès
Un grand bravo Marion merci pour le voyage.
J’adore les commentaires des photos! Les paysages ne se ressemble pas! Toujours spectaculaire et magnifique! Bravo Marion pour cet exploit!