Les premiers jours de marche au-dessus de Lukla vers le Mera-La se déroulent dans une queue de mousson, sous une pluie intermittente, les nuages et le brouillard. Je subis une sévère infection intestinale qui me laissent vidée, sans forces, couvrant les étapes à une allure d’escargot et les terminant à quatre pattes en hypoglycémie.
A partir du camp de base du Mera Peak, nous abordons la haute montagne. Nous avons bientôt notre première vue sur notre sommet en descendant du Mera-La : après 400 mètres de pierriers, boue puis alpages, après être légèrement remontés sur une crête, nous redécouvrons le Chamlang, très proche, ainsi qu’un trio majestueux : le Baruntse à gauche (7129m), le Makalu à droite (8463m), ces deux montagnes encadrant un pic inconnu et pointu auquel la carte de donne pas de nom. Somptueux !
Remontant la vallée vers Panch Pokhari, la barrière du Baruntse se fait plus précise, et la face Sud du Lhotse impose sa masse et sa hauteur de plus de 3000 mètres. A gauche, un cirque de sommets de 6000 mètres, des lacs glaciaires verts, des glaciers, et… l’Ama Dablam ! Discret, mais élancé, et tout blanc de neige ! Et en progressant sur une moraine, j’aperçois le Makalu ! Un vrai régal pour les yeux : à 360°, un paysage de très hautes montagnes, de glaciers, de sommets enneigés, de corniches et de cannelures de glace. Le ciel est bleu profond, le soleil radieux donne à la neige une blancheur éclatante. Extraordinaire ! Là encore, des moments de pur plaisir !
Le camp de base est installé à 5300 mètres, près d’un lac qui gèlera progressivement au cours de notre séjour. Il fait froid. Le vent souffle de façon continue ; il est glacial. Même aux heures les plus chaudes de la journée, en dépit des rayons du soleil, nous supportons trois couches de vêtements dont deux couches de polaires, et parfois la doudoune. C’est dur de ne jamais être bien, de ne jamais pouvoir se laisser aller.
La montée au camp 1, établi au West Col, suit une moraine. Nous nous rapprochons de la face Sud du Baruntse qui forme un cirque fermé par une belle arête façon Küffner. Nous prenons pied sur le glacier, empruntons une pente de neige douce, puis remontons les cordes fixes jusqu’au col où nous sommes accueillis par un vent violent qui souffle en rafales. Pas très drôle ! Le soleil se couche vers 17 heures et la température chute brusquement, nous forçant à trouver refuge dans les sacs de couchage jusqu’au matin. Il faut être bien courageux pour photographier le superbe coucher de soleil rose sur le Makalu !
Le camp 2 est posé une heure et demie au-dessus du camp 1, au pied de l’arête neigeuse qui conduit au sommet du Baruntse. Et quelle arête ! Fine, longue, ou plutôt : interminable, avec trois ressauts avant de toucher au but… Waouh !
Dernier jour de repos au camp de base, avant la tentative du sommet. Je suis prête à aller le plus haut possible, pour ne pas avoir de regrets, sans avoir toutefois la moindre illusion sur mes chances de sommet. Je n’ai plus assez de réserve. Je regarde le Baruntse qui rayonne dans le froid de la nuit éclairée par la lune, et j’ai peur. Peur de quoi ? Il est idiot d’avoir peur d’une montagne. Peur de l’inconnu ? Peur de ce qui nous attend là-haut ? Peur de souffrir alors que je n’ai plus les armes pour me battre ; peur de se sentir si vulnérable. La lutte entre les éléments et l’altitude d’une part, l’homme d’autre part, par définition inégale, l’est encore davantage cette fois-ci.
28 octobre, 6 heures du matin. La neige crisse sous les crampons comme nous sortons des tentes du camp 2 à 6450m. La tempête de neige qui soufflait la veille au soir a cessé, laissant place à un ciel à peu près dégagé et à une pleine lune qui irradie le camp d’une lumière blanche irréelle, comme en plein jour. Par contre, le vent qui chahutait les tentes est toujours présent, bien qu’un peu atténué. Nous nous mettons en route pour le sommet par un froid d’environ -25 degrés. Attention à bien protéger les mains et les pieds contre le gel.
Pendant que le soleil se lève et inonde de couleur rose les sommets alentour, nous avalons de grandes pentes de neige, louvoyons dans des séracs, poursuivons sur de nouvelles grandes pentes plus raides, avant de prendre pied sur l’arête, longue, fine et très aérienne. Par endroits, à peine la place de mettre les deux pieds. Surtout rester concentrés, alors que le vent souffle toujours, de côté (venant de la gauche), ne laissant aucun répit.
Arête et ressauts neigeux raides où la neige profonde gêne la progression, se succèdent jusqu’au pied de la pente finale. Je suis si absorbée par l’ascension que j’en oublie presque de regarder le paysage. Nous venons de franchir la barre des 7000m: courage! Au ralenti, même si nous progressons finalement à une allure encore tout à fait satisfaisante, un pas après l’autre, se forçant à continuer sans s’arrêter, nous approchons du but pendant que le vent menace de geler des parties du visage: pommette, narines… Ma cuisse gauche est au bord de la crampe et refuse de pousser. Je dois m’aider de la main gauche de sorte que j’avance quasiment à quatre pattes… Le spectacle est pathétique mais le sommet est presque là, en lequel je n’avais jamais vraiment cru, alors… Je me cramponne. Je vais chercher la dernière parcelle d’énergie disponible en moi, tout au fond de moi. Cette fois, je vais savoir ce que ramper pour aller au sommet veut dire. Et bientôt, après plus de cinq heures d’efforts: sommet! Avec le soleil, quelques nuages cachant le Makalu (8463m). Sommet du Baruntse, pour deux membres de l’expédition (dont moi-même), le guide et deux sherpas!
Nous appelons par radio le camp de base qui est à l’écoute puisqu’ils ont suivi notre progression à la jumelle. Ils peuvent nous voir sur le sommet.
« Camp de base pour sommet : on y est !
– Sommet, Fabien, on vous voit. Bravo, félicitations. Qui est là-haut ? Comment ça va ? »
J’ai les larmes aux yeux et une pensée pour les membres du groupe qui ne sont pas avec nous. Ces voix amies venues du bas, les sourires des trois personnes qui m’entourent, la satisfaction et le soulagement de se dire que c’est fini et qu’on est au but : tout cela est extrêmement émouvant. On y est ! SOMMET ! Il est 11h15, nous sommes à 7129m, il n’y a plus rien à grimper : SOMMET !
Le sixième sommet de quasi 7000 mètres ou plus tenté cette année 2004, le sixième réussi. Le dernier cette année. Le dernier de ma vie, peut-être. Un nouveau sommet, tout simplement, cette fois au bout de l’effort, après l’inquiétude pour la santé, et la peur, l’appréhension. Au bout de moi, je crois, en tout cas vraiment pas loin du bout.
Le retour s’ effectue par l’Amphu Lapsa, un col très escarpé et sauvage, menant au pied de la face sud du Lhotse (8516m), haute de 3000m, puis empruntant la vallée conduisant au camp de base de l’Everest. Sous un soleil radieux (mais toujours le froid!), ce retour conclut de fort belle façon cette expédition exigeante. Nous retrouvons avec plaisir la douche chaude, Internet, un vrai lit et des températures plus clémentes!
bonjour
merci pour votre message et bravo pour la qualité de votre récit! Le Baruntse est un sommet magnifique, ainsi que le trek d’approche et de retour!
Je suis en année sabbatique, ce qui explique la disponibilité… Le reste du temps, c’est un voyage par an. Mais ça fait 20 ans que ça dure!
Bonne continuation à vous
Bonjour,
Nous avons tenté le Baruntse ce printemps, échec à 6800 m pour cause de mauvais temps, avec beaucoup (trop) de neige. Récit ici : http://snovae.free.fr/spip.php?article260&lang=fr et photos là
: http://snovae.free.fr/spip.php?article311
Néanmoins beaucoup de découvertes pour moi, j’ai adoré.
Je reste impressionné par vos réalisations, et par le temps (et l’argent !) dont vous semblez disposer pour repartir à peine rentrée !
Je vous souhaite une bonne expé en Antarctique !
Guillaume